À la fin de l’expiration
- bruneaujulien
- 19 mars
- 3 min de lecture
La Voie du Réel : Yoga tantrique - Retour à Soi (3/6)
NATHALIE DELAY
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Le mouvement de la respiration, on n’y voit souvent que deux temps. L’inspiration, l’expiration. Pourtant une observation plus attentive, plus sensible nous révèle qu’organiquement, à la fin de l’inspiration, rayonne un temps en suspens. Symétriquement, à la fin de l’expiration, s’étale une plage de non-mouvement, de non-action. Un vide. Se donner sans réserve à cette vacuité est ce que propose ici Nathalie Delay. S’enfoncer dans un « temps de rien » peut certes inquiéter. On peut craindre de s’y dissoudre. Mais ce peut-être aussi un accès privilégié au « tréfonds de l’être », au calme le plus ample et le plus certain. Par l’ évocation d’un souvenir de découragement profond face à la vie, Nathalie Delay nous parle aussi d’une mise en acte très concrète de ce principe d’acquiescement à l’effacement. S’y illustre la sagesse proprement tantrique qui consiste à voir en chaque situation, fût-elle difficile, l’occasion d’un rappel à sa nature véritable. Non pas en cherchant à dépasser la difficulté, mais bien en l’acceptant. Et en entrant, ainsi, dans une intimité tactile avec ce qui est, tel que cela est.
« À la fin de l’expiration » est le troisième des six chapitres de La Voie du Réel que nous reproduisons sur notre site, Traversée d’un souffle. Inspirés du Vijñabhairava Tantra indien dont les stances ouvrent chaque chapitre, ce sont là autant d'invitations à la pratique, à la contemplation et à la résonance sensible. Voir les chapitres précédents : Le corps réel et Le mantra naturel.
> La Voie du Réel - Synchronique Éditions
27. À la fin de l’inspiration ou de l’expiration
le mouvement se suspend, l’énergie s’apaise.
Dans cette pause l’essence apaisée se révèle.
Mourir à la fin de chaque expiration. Se laisser fondre dans le repos qui suit et goûter la saveur unique de son propre anéantissement. L’espoir de réussir, de trouver quelque chose, nous quitte. Notre histoire s’évanouit. Nous vivons un moment de reddition complet où le temps disparaît. Surtout ne pas compter le temps de rétention, ne pas chercher à l’allonger car ce serait porter atteinte à cet espace où le temps n’existe pas. Il s’agit de laisser nos intentions se dissoudre dans cette pause. Elle s’allonge d’elle-même, sans effort. Ce non-temps est une porte vers l’Essentiel.
La panique peut vite monter face à la sensation de dissolution. On a du mal à se laisser aller, aussi ne laisse-t-on pas le vide s’étaler. On s’empresse de le remplir avec la prochaine inspiration. Pourtant, dans le vide qui suit l’expiration se trouve une plénitude qu’aucun objet extérieur ne pourra jamais nous apporter. Il s’agit de la plénitude de notre essence. Lorsque le besoin de se considérer comme une entité autonome disparaît, nous pouvons fondre dans la pure présence et savourer le nectar de l’unité.
La pause de l’expiration est un moment privilégié pour réaliser l’identité illusoire à laquelle nous nous sommes liés par méconnaissance. Dans cet arrêt de toute activité, notre vraie nature resplendit si nous lui laissons l’espace de le faire.
Entretenir toutes sortes de convictions, d’opinions, de jugements, de certitudes à notre sujet, au sujet des autres et du monde empêche notre esprit de se détendre. Laissons-nous goûter la détente innée qui gît au centre de notre être. Immergés dans ce fond de pure présence, la pause de l’expiration s’étale. Les différents temps respiratoires se placent avec légèreté sur la pause de l’expiration, sans jamais la recouvrir. Un sentiment d’éternité apparaît. Il anéantit toutes les peurs. L’entité individuelle s’avère pure illusion, il ne reste qu’un espace immense de liberté.
Un jour où l’envie d’en finir avec cette vie était très forte, je me suis fermement assise à même le sol et je me suis dit : « Tu veux mourir ? Très bien ! Alors vas-y, donne-toi au ressenti de ta propre mort, de la respiration qui s’arrête… » Je me suis sincèrement laissée prendre par ce désir d’anéantissement. Je savais que je n’aspirais pas à la mort physique mais plutôt à la fin de la tyrannie de mon mental. Rapidement, un apaisement est venu du tréfonds de l’être. Je n’étais plus en lutte contre moi-même. Je m’enfonçais dans ma profondeur, sans retenue. L’énergie puissante contenue dans le désir irrépressible d’en finir m’avait servi de passeuse, vers les rives du Soi. Le simple fait de me donner complètement à son courant a anéanti l’anxiété maladive de mon mental. Une douceur et une paix jusqu’alors inconnues m’ont envahie. En faisant oblation de mon ego, j’ai pu goûter l’indicible saveur de ma vraie nature.
Nous remercions Nathalie Delay et Benoît Labayle de Synchronique Éditions de permettre ces re-publications.
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