Le mantra naturel
- bruneaujulien
- 9 déc. 2024
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 10 déc. 2024
La Voie du Réel : Yoga tantrique - Retour à Soi (2/6)
NATHALIE DELAY
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Traditionnellement, un mantra est la forme vibratoire d’une déité à laquelle on se rend présent par la récitation. C’est cette perspective que le Vijñabhairava Tantra épanouit en nous révélant notre propre respiration comme un mantra essentiel, continu et non volontaire. En partant de cet important traité indien non-duel du huitième siècle, Nathalie Delay nous amène à reconnaître cet enseignement à portée de souffle, toujours disponible et inscrit en nous, au cœur du vivant.
« Le mantra naturel » est le second des six chapitres de La Voie du Réel que nous reproduisons sur notre site, Traversée d’un souffle. Ce sont là autant d'invitations à la pratique, à la contemplation et à la résonance sensible. Voir le chapitre précédent : Le corps réel.
> La Voie du Réel - Synchronique Éditions
156. L’air est exhalé avec le son « sa »
puis inhalé avec le son « haṃ».
Alors la récitation du mantra « haṃsa » est continue.
La respiration est le mantra,
répété vingt et une mille fois, nuit et jour,
c’est le mantra de la suprême Déesse.¹
Au réveil, je m’absorbe dans l’immensité lumineuse qui siège au plus profond de mon être : le Soi. Je le sens être ma substance la plus intime. Je m’abîme en sa pure bonté, son infinie douceur.
Inspire – Je suis ; Expire – Cela, le Je Ultime.
Le mantra se répète en moi, il me suffit de l’écouter et de le vivre en conscience. Le mental est au repos, dissous dans le pur bonheur du Soi. C’est au sein du souffle apaisé qu’a lieu l’union entre mon humanité et l’Illimité.
Je me lève, le mantra continue. Quand l’activité occupe le premier plan, elle le recouvre sans l’arrêter. Dès que je fais une pause, j’écoute le silence, il réapparaît. Il inonde mon cœur et emplit l’espace de sa vibration subtile.
Le mantra naturel se répète vingt et une mille fois par vingt-quatre heures, ce qui correspond au nombre de nos respirations. Nous avons la possibilité de l’entendre plusieurs fois par jour, en posant notre attention sur le souffle qui entre et sort.
À mes débuts, prendre conscience de deux ou trois respirations d’affilée n’était pas toujours possible. Les activités extérieures et le mental accaparaient toute mon attention et cela me désespérait de ne pas être capable de vivre au moins deux cycles respiratoires par jour en pleine conscience.
Petit à petit, la présence et l’ouverture se sont instillées dans mon quotidien. Mon être s’est accordé avec de plus en plus d’harmonie au réel. J’ai pu alors entendre le mantra se répéter en moi mais aussi tout autour de moi. Il s’est inscrit par touches légères au sein de mon quotidien. Il me suffit de lâcher quelques secondes la concentration sur une activité donnée et de me rendre totalement disponible à la texture de l’instant dont le souffle fait partie intégrante. Les allers-retours entre cette prière spontanée et l’activité se font de manière fluide. Les situations restent souples et légères, le mental n’intervient plus pour les figer et les rendre solides.
Au réveil, dès le tout premier instant, plutôt que de laisser le mental immédiatement occuper tout le champ de notre conscience, nous écoutons le silence. Nous laissons nos préoccupations se dissoudre dans la pure Présence, afin d’entendre « Je suis Cela », la Conscience indifférenciée.
Passer directement de son lit au sol pour continuer à l’écouter pendant l’exploration corporelle. Entendre le son de l’air qui entre et qui sort, lorsqu’il est délicatement filtré à la gorge² , comme une caresse qui accompagne le souffle et le rend légèrement sonore. En fin de pratique, laisser le souffle s’alléger, s’intérioriser jusqu’à ce qu’il devienne une effluve à peine perceptible. Le mantra permet de se détacher de la conscience égotique pour se rapprocher de la pure Conscience. Il devient de plus en plus subtil, de plus en plus silencieux. Plus il est silencieux, plus il est lumineux et vibrant.
Il est essentiel de ne pas faire le mantra mais de le laisser se déployer. Laisser le son haṃ porter l’inspiration et le son Sa porter l’expiration ; le son et le souffle sont UN. Ce mantra spontané, pour devenir parfait, doit être porté par la présence dénuée de toute intention. Une touche de conscience légère sur le souffle suffit pour se rendre disponible et se sentir traversé par sa vibration. Il n’y a rien à obtenir, toute pratique marchande qui veut gagner l’Absolu au prix de ses efforts restera stérile et n’entraînera que frustration. Il s’agit d’offrir son moi au Soi. C’est une offrande à l’Absolu où l’on ne gagne rien, à part la possibilité d’entendre le chant de la Grande Déesse – l’énergie de vie – s’exhaler de la racine de notre être.
Le mantra et le souffle ne sont pas de notre ressort, ils nous traversent et se répètent sans notre intervention. Percevoir avec clarté sa propre absence dans ces deux phénomènes spontanés nous pose dans la vérité de notre essence – le Soi. Pour entendre le mantra, le moi doit quitter la scène afin de laisser le Soi pulser en toute liberté.
Nous remercions Nathalie Delay et Benoît Labayle de Synchronique Éditions de permettre ces re-publications.
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¹ Traduction de Daniel Odier, in Tantra Yoga, éd. Albin Michel, Paris, 2004. (retour)
² Ujjayi, cf. Éric Baret, Corps de vibration, éd. Almora, Paris, 2015, p. 158. (retour)
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